Liturgie de la Parole

Notre page « Echos de la communauté »

Nous aimerions sur cette page vous faire partager quelques échos de notre communauté, les événements que nous vivons « Au fil des jours », les témoignages de nos soeurs et ce que les différents médias (cath.ch, la RTS, KTO, VaticanNews...) partagent au sujet de nos communautés en Suisse et à Madagascar et de nos activités et services. Cliquez sur les liens pour accéder aux articles publiés.

Le temps de confinement, où l'Eucharistie n'était plus possible, nous a incitées à chercher des alternatives. C'est ainsi que l'Office du milieu s'est transformé en une « Liturgie de la Parole (accès aux textes publiés) » et cinq sœurs de la communauté se sont relayées pour commenter le texte de la liturgie du jour. Même si les célébrations ont maintenant repris, nous poursuivons cette belle expérience de partage de la Parole.

La tendresse

Homélie donnée à la Chapelle de La Pelouse dans le cadre de la Lectio Divina
1er dimanche de Carême  A

Genèse 2, 7-9.3, 2-7a / Psaume 50 (51) / 2 Thessaloniciens 1, 11-2, 2 / Matthieu 4, 1-11

Chères sœurs, chers frères,

Une affiche publicitaire pour un film prêt à sortir dans les salles annonçait récemment : « Préparez-vous à avoir le cœur brisé ! ».

Qui a envie d’avoir le cœur brisé ? L’expression évoque inévitablement des histoires tristes de chagrins d’amour. Vous voyez : un joli cœur bien rouge… mais le voilà qui est fendu, qui est déchiré. La relation qui faisait rêver paraît rompue. Est-ce cela que Dieu nous annonce comme sommet de ses promesses ? Le meilleur que nous pouvons espérer : avoir le cœur brisé ?

Quand on écoute le psaume 50 (51), c’est pourtant bien ce que dit son auteur :

« Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. » (Ps 50,19).

Qui donc désire avoir le cœur brisé ? Qui peut désirer avoir le cœur broyé ? Personne, c’est sûr.

Dans l’histoire de Dieu avec l’humanité, le premier qui a le cœur brisé, c’est Dieu lui-même. Au commencement, Dieu a pris le soin de créer l’environnement le plus favorable pour que l’homme et la femme construisent leur vie ensemble. Il a planté un jardin et y a mis toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux. Pour donner à l’homme et à la femme la possibilité de construire une relation d’amour avec lui, Dieu se réserve un arbre, l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Ainsi, en ne mangeant pas de cet arbre, l’homme et la femme montreront à Dieu qu’ils l’aiment, le respectent. Et si jamais ils désirent avoir accès à cet arbre, ils lui en demanderont le fruit. Mais l’homme et la femme s’emparent du fruit, sans accorder aucune attention à Dieu. Et c’est la déception pour Dieu. Une déception terrible. Le partenaire qu’il espérait le trahit. La confiance est rompue. Les humains ont peur de lui et se cachent. Dieu n’a plus d’autre choix que de prendre soin des humains apeurés en construisant pour eux un cadre de vie supportable.

Et l’histoire se répète inexorablement. Nous nous brisons le cœur les uns les autres, souvent violemment, parfois très violemment.

« Préparez-vous à avoir le cœur brisé ! ». Cette annonce n’a rien de réjouissant. Se préparer à avoir le cœur brisé, on ne peut que le craindre, semble-t-il. Parce qu’avec les humains, la violence qui peut conduire à briser notre cœur peut même être traumatisante. Alors on préfère se dire que l’on va tout faire pour éviter un tel chagrin, par exemple en fermant notre cœur. Cependant, si notre cœur reste fermé, insensible à l’autre, aucune confiance ne pourra s’y établir. Il faudrait que nous laissions notre cœur se briser, mais par quelqu’un qui le fera sans violence. Dieu est celui qui vient briser notre cœur en grande douceur.

« Préparez-vous à avoir le cœur brisé ! ». Entrer dans le Carême qui nous conduit jusqu’à Pâques, c’est nous préparer à cette visite et, pour nous réjouir d’avoir le cœur brisé par Dieu, laissons-nous nous rappeler comment il s’y prend.

L’apôtre Paul dit que le péché est entré dans le monde par un être humain. En termes de brisement de cœur, nous pouvons parler du péché comme du cœur de Dieu brisé avec violence : brisé avec violence dans le premier jardin, puis brisé avec violence de manière répétée jusqu’à aujourd’hui et par chacun de nous. Et c’est non seulement le cœur de Dieu que nous brisons, mais nous nous le brisons les uns les autres, avons-nous dit. Mais l’apôtre dit aussi que c’est par un seul homme que la grâce est entrée dans le monde. En termes de brisement de cœur, on peut traduire cela en disant que la grâce, c’est d’avoir le cœur brisé en douceur. Autrement dit, si briser le cœur avec violence est ce que nous avons réussi à offrir tout d’abord à Dieu et aux autres comme réponse à leur offre d’amour, briser notre cœur en douceur est ce que Dieu nous offre par Jésus en réponse à notre demande d’amour.

Ce temps de Carême est un temps pour ressentir qu’il y a une douceur de la croix. Cette douceur se donne au-delà de ce que nous percevons au premier abord. Parce qu’à première vue, c’est tout le contraire. A la croix, il y a une violence extrême qui frappe le Christ. Jésus souffre horriblement, il est violemment maltraité. C’est toujours la même répétition de notre incapacité à accueillir l’offre d’amour venant de Dieu. Elle dérange trop. Nous ne voulons pas avoir le cœur brisé par l’amour de Dieu. Il nous semble que nous serons alors trop vulnérables. Nous nous défendons. Et nous rejetons violemment celui qui vient nous donner cet amour. Mais voici : parce que cette violence est retombée sur lui et qu’il ne nous condamne pas, le cycle de la violence qui se répétait sans fin s’arrête. Un grand silence se fait le soir de Vendredi-Saint. La violence que nous avons lâchée ne nous revient pas dessus en retour. Dans la nuit, une transformation s’opère. Ce qui nous revient en retour, c’est un grand silence d’où émerge une grande douceur. C’est la douceur de Dieu qui se réjouit que nous en soyons sortis sains et saufs. Car il voulait qu’aucun de ceux qui lui appartiennent ne se perdent. Vous savez, même les martyrs qui perdent leur vie en sortent sains et saufs. Comme le dit Jésus à ses disciples :

« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la géhenne. Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? Cependant, il n'en tombe pas un à terre sans la volonté de votre Père. » (Mt 10,28-29).

Sentez-vous la douceur de l’attention de Dieu sur votre vie dans cette comparaison avec ce qui arrive à un petit oiseau ? Pour sentir cette douceur, il faut comprendre qu’il n’y a rien de pire que la mort spirituelle. Peu importe le reste. Au niveau de ce qui est le plus vital en nous, c’est-à-dire au niveau de notre âme, Dieu prend soin de nous à chaque instant. Ainsi, si nous restons sous son regard, il ne pourra rien nous arriver de mal. C’est l’expérience que fait Jésus lors des tentations : il résiste à celui qui veut le faire périr corps et âme.

La douceur de Dieu nous arrive comme une brise au milieu de la nuit de nos vies, quand nous découvrons que le Christ Jésus s’est laissé briser à notre place, pour que nous ne soyons pas détruits. Et cette douceur brise nos cœurs repliés, durcis, ou carapacés.  

« Préparez-vous à avoir le cœur brisé ! ».

Qui donc désire avoir le cœur brisé ? Qui peut désirer avoir le cœur broyé ? Personne, c’est sûr, sauf si cela se passe en douceur. Pour recevoir la grâce d’en faire l’expérience, il nous faut prendre un grand risque, celui de ne plus chercher à nous donner la sécurité par nous-mêmes. Alors nous commençons à découvrir qu’avoir le cœur brisé porte en soi une promesse de bonheur, que c’est la condition pour devenir des êtres de relation. Avoir le cœur brisé nous paraissait une destinée triste. Voici que monte en nous le désir d’être visités par la présence de Dieu qui brise notre cœur en douceur.

« Préparez-vous à avoir le cœur brisé ! ».

C’est le mouvement spirituel profond auquel nous sommes invités au début de ce Carême.

 

Pasteur (réformé) Pierre-Yves Brandt