Liturgie de la Parole

Notre page « Echos de la communauté »

Nous aimerions sur cette page vous faire partager quelques échos de notre communauté, les événements que nous vivons « Au fil des jours », les témoignages de nos soeurs et ce que les différents médias (cath.ch, la RTS, KTO, VaticanNews...) partagent au sujet de nos communautés en Suisse et à Madagascar et de nos activités et services. Cliquez sur les liens pour accéder aux articles publiés.

Le temps de confinement, où l'Eucharistie n'était plus possible, nous a incitées à chercher des alternatives. C'est ainsi que l'Office du milieu s'est transformé en une « Liturgie de la Parole (accès aux textes publiés) » et cinq sœurs de la communauté se sont relayées pour commenter le texte de la liturgie du jour. Même si les célébrations ont maintenant repris, nous poursuivons cette belle expérience de partage de la Parole.

Sr Isabelle Donegani

Commentaire de la Parole
26e semaine du t.o. A

Fête des Saints Anges gardiens
(Exode 23,20-23a) - Matthieu 18,1-5.10

Les enfants -- les petits, signifiants du "plus grand" dans le royaume :
Notre condition filiale à tous

Nous entendons aujourd’hui, au chapitre 18 de Matthieu, le début du long “discours ecclésial” de Jésus. Tout le discours est une réponse à la question initiale que lui adressent les disciples : “Qui donc est plus grand dans le royaume des cieux ?”. Des consignes très nettes, qui éclairent aussi les tâches à assumer bientôt dans l’Eglise, sur la conduite qu’eux, “les grands”, auront à tenir vis-à-vis des “petits”, et aussi les “égaux” vis-à-vis de leurs “frères”.

Remarquons d’abord combien la question des disciples est “ajustée” au niveau où Jésus, depuis le début, cherche à leur parler : cet espace-temps nouveau appelé “le royaume des cieux” dont, “à cette heure-là”, ils souhaitent connaître les règles et mesures propres, en fait de grandeur et de supériorité.

Jésus leur répond en deux moments : d’abord par un geste, puis par une série de paroles qui en déploient la signification.

Le geste étonne : Appelant à lui un enfant, il le plaça au milieu d’eux”. S’agissant du “plus grand”, on aurait pu s’attendre à ce que Jésus mette en avant quelqu’un de connu ou de reconnu comme “plus” sage, ou intelligent, ou compétent, etc. Ou encore l’un des Douze, qu’il a choisis. Ou, pourquoi pas, Pierre, qui s’est illustré parmi eux par sa confession de foi (16,16). Mais non. Jésus n’appelle pas un personnage sortant du lot, fut-il un illustre inconnu, mais “un enfant”, l’amenant à se rapprocher de lui, non pas pour le garder dans son giron, mais pour le positionner “au milieu”, à une place où il devient l’unique par rapport au groupe. Jésus construit donc ainsi, à Capharnaüm, dans la maison où ils sont rassemblés, une scène, un dispositif où le “signe de l’enfant” vient à occuper la place centrale.

Après le geste, les paroles. Elles ne prendront fin que quand Jésus achèvera son discours, au terme du chapitre 18. Elles sont introduites par : “Amen je vous dis”, qui affirme leur solidité et leur vérité tout en postulant, du côté des auditeurs (les disciples), une écoute et un “croire” assurés et francs.

Le premier énoncé de Jésus (v. 3) problématise le lien des disciples avec ce qu’ils ont appelé “le royaume des cieux”. Jésus le figure comme un espace séparé, dans lequel il s’agit “d’entrer”. On n’est pas d’emblée, ni de plein pied, dans le royaume. Une frontière le délimite, qu’il faut franchir. Cette entrée exige que soient accomplies deux conditions :

  • D’abord, “si vous changez”, dit Jésus (Bible de la liturgie, Osty, TOB). Le verbe strephô signifie “faire retour, faire une conversion”. Il s’agit donc, en revenant, d’emprunter un autre chemin que celui, erroné, sur lequel vous étiez engagés ;
  • Puis, “devenez comme des enfants”. “Devenir” (ginesthai) signale un processus, une transformation qui se fait dans le temps et nécessite du temps. Le “comme” est important. Il ne s’agit pas de redevenir les enfants que vous avez été (c’est impossible : on n’inverse pas la ligne de succession du temps), mais, dans un mouvement tourné vers le futur, l’avenir, de “ressembler” à des enfants. Non pas régresser à un état antérieurement connu, s’infantiliser, mais “être comme”. Nous reviendrons sur ce point, décisif.

Le deuxième énoncé de Jésus (v. 4) fait entendre que se retourner en changeant de chemin et devenir comme les enfants, c’est “s’abaisser comme cet enfant”, dit Jésus en désignant l’enfant qu’il vient de poser au milieu. Un mouvement vers le bas est intimé, que nous retrouverons dans la figure des “petits” (v. 10). S’abaisser est la trajectoire qu’a suivie le Fils en devenant semblable aux hommes, notons-le (voir Philippiens 2).

Ce n’est pas tout. Dans un troisième énoncé (v. 5), Jésus invite encore tout homme à “accueillir un enfant comme celui-ci”. Si tant est que l’accueil est accompli “sur mon nom”, dit Jésus, comme on dit “sur ma parole”. L’accueil de l’enfant au nom de Jésus donne d’accueillir Jésus lui-même. Ce sera d’importance quand, tout bientôt, Jésus ne sera plus là, et que dans l’Eglise le signe de l’enfant, donné au nom de Jésus, continuera à le rendre présent au milieu des siens. L’accueil de l’enfant sera signe de la présence de Jésus dans l’Eglise, à jamais.

Le quatrième énoncé de Jésus (v. 10), par lequel la liturgie nous fait enjamber allègrement les vv. 6 à 9, indique que non seulement “scandaliser un de ces petits qui croient en moi” est à proscrire, dit Jésus, mais aussi le “mépriser”. La mise en garde est forte (“Voyez à ne pas”). Jésus la justifie de suite, et en donne la raison : “car leurs anges, aux cieux, regardent sans cesse la face de mon père, aux cieux”. 

Les figures que Jésus utilise pour parler (son “je vous dis” fait rappel de celui du v. 3) nous projettent subitement dans un espace, sur une autre scène que celle de la maison de Capharnaüm : nous sommes “aux cieux”. Elles nous plongent en plein dans ce “royaume des cieux” dont il nous a entretenu. De nouveaux acteurs y sont présents : “les anges” des petits et le Père de Jésus. “Leurs anges” (aggeloi signifie “porteurs d’annonce”) sont tout entiers occupés, “sans cesse” et au présent, à un face-à face-avec le Père. “Regarder le Père” n’est pas une prérogative réservée au Fils unique : “les petits” (autre figure des “enfants”) le vivent aussi, par la médiation de “leurs anges”. 

Seule la parole de Jésus nous introduit dans cette scène. C’est elle qui nous donne à entendre quelque chose de ce qui s’y joue. Ecoutons…

“Un de ces petits”, sur la scène terrestre (le démonstratif “ces” y insiste), est l’envers de cet endroit figuré par “leurs anges”, dans les cieux. On est en plein langage apocalyptique, qui tente de dire et dévoiler l’indicible. N’oubliez pas le réel des “anges”, dit Jésus. Ne “méprisez pas” ces petits, car du “petit” est dévoilée par Jésus la face cachée, invisible et secrète : son “ange”. Attenter, dédaigner le “petit”, c’est mépriser par le fait même “son ange”. Faut-il l’imaginer comme une créature séparée, dont la fonction serait de “garder” son petit ? La fête du jour nous y inciterait. Mais contentons-nous de noter ce qui se dit ici, à travers ces figures : dans les “petits” sont à considérer “leurs anges”. Les “mépriser”, ce serait dénier, oblitérer leur dimension céleste. Aux cieux, dans le royaume du Père et du Fils, les “petits” d’humains contemplent le Père à travers “leurs anges”. 

Disant cela, nous n’avons encore rien dit de ce que signifie “être comme des enfants” ! Plus loin en Matthieu, Jésus dira encore que “le royaume des cieux est à ceux qui sont tels les enfants” (19,14). Pour un adulte donc (pour les disciples ici), “ressembler à un enfant” ne définit pas un agir moral ou spirituel dont les enfants seraient “plus” coutumiers que les adultes ou les vieux. Par contre, l’enfant, de par sa génération, se situe du côté de la naissance. Il signale ce qui est proche du germinal, de ce qui vient. Le signe de l’enfant, interprété ainsi, ne nous incite pas à regretter un temps passé, ou des idéaux de pureté, d’innocence ou de malléabilité perdues, mais à accueillir notre réalité de fils, ici et maintenant, dans le présent du royaume. Personne n’est à lui-même sa propre origine. “Devenir tel un enfant” invite à reconnaître ce manque à être qui nous constitue. Le péché originel se comprend ainsi d’un péché contre l’origine : ne rien vouloir savoir de l’Autre en qui nous sont donnés la vie, le mouvement et l’être. A l’inverse, croire Celui qui nous engendre par sa Parole, c’est, pour tout humain “devenu tel un enfant”, être porté par “son ange” à hauteur de ciel, être introduit dans la contemplation de la face du Père. C’est là la vérité plénière de sa destinée. De notre destinée à tous, “fils d’homme”, en tant que nous sommes fils, et engendrés à une vie nouvelle (cf. Jn 3). Notre naissance au ciel nous “garde” dans notre vérité tout entière. Le face à face avec le Père accomplit notre condition filiale. “Nos anges” l’attestent : ils en sont les plus fidèle “gardiens”.

sœur Isabelle Donegani