Liturgie de la Parole

Notre page « Echos de la communauté »

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Le temps de confinement, où l'Eucharistie n'était plus possible, nous a incitées à chercher des alternatives. C'est ainsi que l'Office du milieu s'est transformé en une « Liturgie de la Parole (accès aux textes publiés) » et cinq sœurs de la communauté se sont relayées pour commenter le texte de la liturgie du jour. Même si les célébrations ont maintenant repris, nous poursuivons cette belle expérience de partage de la Parole.

Sr Isabelle Donegani

Commentaire de la Parole
32e semaine du t.o. A

Luc 18,1-8

Avec la foi pour juge ultime !

Depuis plusieurs jours, nous lisons dans l’évangile selon Luc une séquence qui semble être sa manière de signifier ce qu’il en est du “jugement dernier”. Luc le fait de manière non judiciaire, très différemment donc de Mathieu dans le texte du chapitre 25,31-46 que nous lirons bientôt, au dernier dimanche de l’année liturgique.

L’épisode qui clôt cette séquence est l’évangile de ce jour (Luc 18,1-8). Jésus parle à ses disciples d’abord en langage parabolique (parabole du juge et de la veuve, vv. 1-5), puis en des paroles qu’il leur adresse à titre de “Seigneur” (vv. 6-8), les invitant à “entendre ce que dit ce « uge sans justice » (v. 6)".

Comme avec toute parabole, il convient de lire d’abord le récit pour lui-même, puis de se poser la question de la dimension parabolique qui fait que cette histoire s’ouvre sur un second degré, du fait de son lien à son contexte et à ce qui s’y donne à lire.

Observons donc d’abord le récit. Dans une ville se trouvent un juge et une veuve. Drôle de juge, qui “ne craignait pas Dieu et ne respectait pas l’humain” (anthropôs, en grec). Juge assez inquiétant, puisqu’il n’a de relation ajustée ni avec Dieu ni avec personne ! Juge surtout bien peu fiable pour qui aurait besoin de compter sur lui !

Or précisément, dans cette même ville une veuve “venait vers lui”. L’imparfait du verbe souligne le mouvement qui est sien, dans la durée. C’est qu’elle a un “adversaire”, dit-elle au juge, et qu’elle attend de lui qu’il “lui fasse justice”. Mais lui “ne voulait pas” : l’imparfait du verbe indique un refus aussi persistant que l’est la venue de la veuve.

Après un “longtemps” pourtant, le juge va changer d’avis. Mais ce n’est pas que son lien à Dieu ou à autrui se soit transformé, non : “Je ne crains pas Dieu et ne respecte pas l’humain”, se dit-il en lui-même dans une parole où son “je” reste campé dans un choix qui semble comme le définir à ses propres yeux. Ce qui va lui faire investir enfin son métier de juge, c’est que cette veuve l’exaspère : “Elle m’ennuie”, se dit-il. “Elle me fatigue”, ou “m’assomme”, peut-on aussi traduire. Le verbe grec signifie : “porter peine, être pénible”. Aujourd’hui, on dirait : “Elle me va sur les nerfs !”, ou : “Elle me pompe l’air !”… Mais c’est aussi plus que cela : le juge finit par avoir peur. “A la fin”, se dit-il, cette veuve pourrait, littéralement, “venir me pocher un œil” (18,5). C’est plus que “casser” ou “rompre la tête”, au sens figuré. La veuve pourrait en venir aux mains. Sa parole non reçue demeurant sans effet, elle pourrait finir par user de force, de violence portant atteinte à l’intégrité physique du juge.

Voilà pour le récit. En quoi donc est-il parabolique ? La suite nous l’indique, à travers la parole du “Seigneur” qui interpelle ses disciples : “Entendez ce que dit ce juge sans justice !” (v. 6). Le 2e degré s’entend ici : si même pareil juge, dénué de toute justice, va finir par rendre justice, à combien plus forte raison “Dieu le fera-t-il envers ses élus qui crient vers lui jour et nuit”. Le Seigneur s’engage dans sa parole, se faisant très affirmatif : “Je vous (le) dis : il leur fera justice bien vite” (v. 8a).

“Mais…”. Car il y a un “mais” : “Mais le Fils de l’humain, à sa venue, trouvera-t-il la foi sur la terre ?” (v. 9). Ce n’est pas une petite réserve ou restriction qui se dit ici à la fin du texte. Quelque chose peut empêcher que justice soit rendue : c’est l’absence de “foi sur la terre”. La justice divine n’est pas automatique, et Dieu lui-même ne peut l’imposer comme son bon droit. Elle est affaire d’alliance, dans le partage d’une parole de consentement réciproque.

“Sur terre”, le “Fils de l’homme” devra trouver “des fils de l’homme”. Entendons : des hommes advenus pleinement “fils” en leur condition humaine. Cela suppose que la porte de la justice se soit ouverte en eux, et cette porte n’est autre que “la foi”.

Nous pouvons ici nous rappeler l’épisode des dix lépreux, entendu il y a peu (Luc 17,11-19). Tous les dix avaient obéi à la demande de Jésus d’aller se montrer aux prêtres, et tous avaient été purifiés en chemin ; mais un seul des hommes guéris s’en était retourné vers Jésus et, s’étant prosterné à ses pieds, avait rendu gloire à Dieu. Jésus lui avait dit alors : “Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé !” (17,18).

“Sur terre”, en ce lépreux advenu en “fils de l’homme”, Jésus a trouvé “la foi”. Dieu a pu lui rendre justice, car sa foi l’a sauvé. La foi sauve, et c’est elle qui juge. Le jugement dernier est à l’œuvre dès ici et maintenant en chacun qui reconnaît ne pas avoir sa source en lui-même, être débiteur d’une dette originaire : la vie qui lui advient comme un don, la vie qu’il est appelé à assumer en y répondant par “la foi” : acquiescement à se recevoir de la parole d’un (A)autre, acquiescement à y répondre, acquiescement qui sauve.

L’évangile de ce jour nous l’avait indiqué d’entrée de jeu en nous dévoilant (ce qui est rare) le contenu de la parabole avant même de nous la donner à lire. Verset 1 : “Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager”. A la prière vive toujours, Dieu fait justice bien vite, si tant est (et c’est une condition sine qua non) que “la foi” en l’humain soit active, et effective.

Dieu ne nous sauve pas sans nous. La foi, certes, est don de sa grâce, mais elle est aussi fruit de notre liberté, engagée et consentante.

sœur Isabelle Donegani