Liturgie de la Parole

Notre page « Echos de la communauté »

Nous aimerions sur cette page vous faire partager quelques échos de notre communauté, les événements que nous vivons « Au fil des jours », les témoignages de nos soeurs et ce que les différents médias (cath.ch, la RTS, KTO, VaticanNews...) partagent au sujet de nos communautés en Suisse et à Madagascar et de nos activités et services. Cliquez sur les liens pour accéder aux articles publiés.

Le temps de confinement, où l'Eucharistie n'était plus possible, nous a incitées à chercher des alternatives. C'est ainsi que l'Office du milieu s'est transformé en une « Liturgie de la Parole (accès aux textes publiés) » et cinq sœurs de la communauté se sont relayées pour commenter le texte de la liturgie du jour. Même si les célébrations ont maintenant repris, nous poursuivons cette belle expérience de partage de la Parole.

Sr Isabelle Donegani

Commentaire de la Parole
34e semaine du t.o. A

Apocalypse 18,1-2.21-23 ; 19,1-3.9a et Luc 21,20-28

De la proche délivrance...

Nous sommes ce midi une douzaine dans la chapelle, plus de vingt sœurs aînées étant confinées depuis hier soir dans leur chambre, pour dix jours. Oui, nous aussi sommes bien aux prises avec ces « temps derniers » qu’évoque l’Evangile. Il nous arrive quelque chose de ce qu’exprime Jésus dans les évangiles de cette fin d’année liturgique. Depuis quelques jours en effet, et jusqu’à ce prochain dimanche d’ailleurs, ces textes désarçonnent, au premier regard, voire même peuvent nous pousser à laisser tomber la lecture et passer notre chemin. C’est d’ailleurs ce qu’exprime poétiquement la méditation de Marion Muller-Colard dans la revue Magnificat de ce jeudi 26 novembre (cf. Éclats d’Évangile, pp. 55-56).

Pourtant, l’évangile doit être lu, aussi rude et énigmatique nous apparaît-il à première lecture. Nous allons nous y risquer ensemble.

Pour cela, notons d’abord que Jésus, dans ce chapitre 21 de Luc, répond depuis un bon moment à quelques-uns de ses disciples éblouis par la beauté des pierres du temple et des ex-votos qui s’y trouvent : “De ce que vous contemplez, viendront des jours où il ne sera pas laissé pierre sur pierre qui ne soit détruite”. La question avait alors fusé : ”Maître, quand donc cela aura-t-il lieu, et quel sera le signe, lorsque cela va arriver ?” (21,5-7).

Pour entendre quelque chose aux propos que Jésus tient alors, dans le temple où il enseigne chaque jour, il faut nous souvenir que peu auparavant, il a déjà eu affaire au temple et à Jérusalem. Au chapitre 19 en effet, il était entré à Jérusalem sous l’acclamation des foules (19,28-38), puis avait dû répondre aux pharisiens qui voulaient faire taire ses disciples (19,39-40). S’étant approché de la ville, il avait pleuré sur elle, disant : “(42) Si tu avais connu en ce jour, toi aussi, les conditions de la paix ! Mais non, cela a été caché à tes yeux… (43) arriveront des jours sur toi, où tes ennemis t’environneront de retranchements, et t’investiront, et te presseront de toute part. (44) Et ils t’écraseront, toi et tes enfants en toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée” (19,42-44).

Nous reconnaissons ici déjà la teneur des paroles reformulées en notre chapitre 21. Mais désormais, Jésus se fait plus incisif encore, déterminé qu’il est à parler de ce qui sera en jeu, dès bientôt, pour les humains en quête de leur vérité.

Face au temple tant admiré mais qui, de maison de prière, a été transformé en “caverne de brigands” (19,46), devant cette ville que tous les juifs considèrent comme la ville sainte d’Israël, mais qui sera celle où le Juste va être iniquement jugé, bafoué et mis à mort (nous sommes à la veille des épisodes de la passion, ch. 22-23, ne l’oublions pas), la parole de Jésus se fait tranchante. Elle se fait prophétique, au sens où elle permet le dévoilement de ce qui est, opère un discernement et fait la vérité dans le présent.

Que dit Jésus ? Précisément que ce qui arrivera demandera d’abord un bon discernement. Son “prenez garde de ne pas vous laisser égarer” (21,8) ouvre et récapitule en quelque sorte sa prise de parole. C’est un avertissement. Il s’agira pour “vous”, les disciples (et pour nous lecteurs aussi), de ne pas vous laisser séduire par des discours trompeurs et séducteurs. Car dans l’avenir surviendra “ce qu’il faut qu’il arrive” (21,10). Entendons : il y a de l’inéluctable dans le monde, et il est nécessaire que cela arrive : guerres et violences, la peur qui s’empare des hommes, les bouleversements, autant pour Jérusalem que pour les nations, affecteront très largement tous les habitants de la terre. La parole de Jésus, qui envisage d’abord les Judéens et les gens de Jérusalem, s’élargit aux limites du cosmos. Cela doit arriver, mais, dit Jésus, “quand vous verrez cela… alors comprenez” (v. 20).

Qu’y aura-t-il à comprendre ? – Que sont en train de s’écrouler tout ce que nos mains et nos projets humains auront construit, même de plus beau, religieusement et symboliquement parlant, ce que signale notamment l’emblématique “temple”. Jérusalem aussi, la ville sainte, sera dévastée. Est prophétisé pour elle un avenir semblable à celui qui a frappé la Babylone de l’Apocalypse, maîtresse d’injustice et d’idolâtrie : les hommes religieux ont fait du temple un lieu d’impiété, et de pareille Jérusalem il faudra s’éloigner, ce que ne pourront peut-être pas faire les malheureuses femmes qui portent ou allaitent un enfant.

Ce qu’il y a à entendre, dit Jésus, c’est que “ces jours-là” seront les jours où “justice se fera pour effectuer tout ce qui a été écrit” (v. 22). Ce ne seront pas des jours de “vengeance” au sens d’une revanche de Dieu faisant fi de toute justice et de tout droit, mais des jours où “faire justice” (sens du verbe grec ek-dikeô) accomplira “tout ce qui a été écrit”. La question rebondit : en quoi consistera l’accomplissement des Ecritures dans la justice qui s’effectuera en ces jours-là ?

Ecoutons ce qu’en révèlent les vv. 27 et 28 : “Alors ils verront les Fils de l’homme venir dans une nuée avec beaucoup de puissance et de gloire. Quand cela commencera d’arriver, redressez-vous et relevez votre tête, car votre délivrance (s’)approche (ou : est proche)”.

Il y aura concomitance entre ces événements tels qu’ils seront et ne peuvent pas ne pas être (désolants, violents, terrifiants) et la venue du Fils de l’homme en gloire. C’est à travers ces événements, – et non sans eux, ou malgré eux –, qu’adviendra le Fils de l’homme. Comment le comprendre ?

Nous méditons ces jours sur “le mystère pascal”, qui est au cœur de notre charisme communautaire. Or “le mystère pascal”, à l’œuvre dans l’aujourd’hui de tout homme, est “une épreuve de vérité” (titre du texte de Pierre Claverie en tête de notre carnet de bord). Il ne pointe vers les trois jours de Jésus au Golgotha qu’à la mesure où il œuvre notre aujourd’hui à chacun.e, affronté à la mort. Dès lors, le futur visé par Jésus n’est autre que l’aujourd’hui de chaque existence d’homme, des nôtres aussi, traversées qu’elles sont de drames et souffrances diverses, et où se joue la venue (dans l’accueil) du Fils de l’homme.

Sa venue d’abord : elle s’opère dans la manifestation d’une gloire aussi puissante que cachée et secrète (ni tonitruante ni visible), puisque son lieu est “la nuée”. Son accueil ensuite, en et par chacun.e : dans et par l’accueil du Fils de l’homme, chacun.e se rend disponible à advenir à sa vérité d’être, ultime. Il s’agit bien de notre “avènement”, d’une naissance. Nous sommes là en plein Avent : devenir homme dans l’Homme nouveau, pleinement humain en devenant fils (et fille) de l’homme dans le Fils de l’homme.

Oui, affronter l’épreuve d’une vie placée sous le signe inéluctable de la mort renvoie à notre vocation la plus profonde : vocation pascale, à vivre dans les épreuves d’une destinée fragile, limitée, souffrante, pour devenir fils dans le Fils, homme dans l’Homme nouveau. C’est à cette naissance à notre vie filiale humaine que nous convie Jésus en ces discours eschatologiques qui, décidément, n’ont pas à nous faire peur. Ils nous dévoilent l’essentiel de nos destinées, le tragique de l’existence supporté par la parole du Fils :

 

Redressez-vous, levez la tête :

votre délivrance est proche !

 

sœur Isabelle Donegani