Liturgie de la Parole

Notre page « Echos de la communauté »

Nous aimerions sur cette page vous faire partager quelques échos de notre communauté, les événements que nous vivons « Au fil des jours », les témoignages de nos soeurs et ce que les différents médias (cath.ch, la RTS, KTO, VaticanNews...) partagent au sujet de nos communautés en Suisse et à Madagascar et de nos activités et services. Cliquez sur les liens pour accéder aux articles publiés.

Le temps de confinement, où l'Eucharistie n'était plus possible, nous a incitées à chercher des alternatives. C'est ainsi que l'Office du milieu s'est transformé en une « Liturgie de la Parole (accès aux textes publiés) » et cinq sœurs de la communauté se sont relayées pour commenter le texte de la liturgie du jour. Même si les célébrations ont maintenant repris, nous poursuivons cette belle expérience de partage de la Parole.

Photo dans l'Eglise St-François

750e anniversaire de l’Eglise Saint François, Lausanne
Culte du samedi 2 avril 2022
Prédication : sœur Isabelle Donegani

INCROCIATO. Chemin de croix, arbre de vie

Psaume 84 (83)

De quel amour sont aimées tes demeures,
Seigneur, Dieu de l'univers !

Mon âme s'épuise à désirer
les parvis du Seigneur ;
mon cœur et ma chair sont un cri
vers le Dieu vivant !

L'oiseau lui-même s'est trouvé une maison,
et l'hirondelle, un nid pour abriter sa couvée :
tes autels, Seigneur de l'univers,
mon Roi et mon Dieu !

Heureux les habitants de ta maison :
ils pourront te chanter encore !
Heureux les hommes dont tu es la force :
des chemins s'ouvrent dans leur cœur !

Quand ils traversent la vallée de la soif,
ils la changent en source ;
de quelles bénédictions la revêtent
les pluies de printemps !

Ils vont de hauteur en hauteur,
ils se présentent devant Dieu à Sion.

Seigneur, Dieu de l'univers, entends ma prière ;
écoute, Dieu de Jacob.
Dieu, vois notre bouclier,
regarde le visage de ton christ.

Oui, un jour dans tes parvis
en vaut plus que mille.

J'ai choisi de me tenir sur le seuil,
dans la maison de mon Dieu,
plutôt que d'habiter parmi les infidèles.

Le Seigneur Dieu est un soleil,
il est un bouclier ;
le Seigneur donne la grâce,
il donne la gloire. 

Jamais il ne refuse le bonheur
à ceux qui vont sans reproche.

Seigneur, Dieu de l'univers,
heureux qui espère en toi !

 

Apocalypse 22,1-5

Puis il me montra un fleuve d’eau de la vie,
resplendissant comme du cristal,
qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau.

Au milieu de la place de la cité et du fleuve,
de part et d’autre,
un arbre de vie produisait des fruits douze fois,
à chaque mois il donnait son fruit,
et les feuilles de l’arbre
servent à la guérison des nations.

De malédiction, il n’y en aura plus !
Le trône de Dieu et de l’agneau sera dans la cité,
et ses serviteurs le serviront,
ils verront son visage,
et son nom sera sur leurs fronts. 

De nuit, Il n’y en aura plus,
et nul n’aura besoin de lumière de flambeau
ni de lumière de soleil,
car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière,
et ils régneront aux siècles des siècles.

 

Luc 23, 26-43

Sur le chemin de la croix

(26) Quand ils l'emmenèrent, ils saisirent un certain Simon, de Cyrène, qui revenait de la campagne, et ils lui imposèrent la croix à porter derrière Jésus. (27) L’accompagnait une multitude nombreuse du peuple ainsi que des femmes qui menaient-deuil et se lamentaient sur lui. (28) Se tournant vers elles, Jésus dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez plus sur moi, plutôt pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ! (29) Car voici que viennent des jours où l’on dira : "Heureuses les stériles et les ventres qui n'ont pas engendré et (les) seins qui n'ont pas nourri !" (30) Alors on se mettra à dire aux montagnes : "Tombez sur nous !" et aux collines : "Couvrez-nous !" (31) Car si l’on a fait cela avec l’arbre vert, avec le sec qu’arrivera-t-il ? (32) Ils amenaient aussi deux autres avec lui, des malfaiteurs, pour être exécutés.

 

Jésus crucifié

(33) Quand ils furent arrivés au lieu appelé “Crâne”, là, ils le crucifièrent, et les malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. (34) Jésus disait :  Père, remets-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Se partageant ses vêtements, ils jetèrent les sorts. (35) Le peuple se tenait là, regardant. Les chefs aussi le tournaient-en-dérision, disant : D'autres, il les a sauvés. Qu'il se sauve lui-même ! s'il est, lui, le christ de Dieu, l'élu ! (36) Les soldats aussi se moquèrent de lui : ils s’avançaient, lui présentaient du vinaigre (37) et disaient : Si toi, tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! (38) Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : Le roi des Juifs est celui-ci.

 

Les deux malfaiteurs

(39) Un des malfaiteurs suspendus l’injuriait, disant : N’es-tu pas, toi, le christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi! (40) Mais répondant, l’autre, le réprimandant, déclara : Tu ne crains pas Dieu, toi qui es sous la même sentence de jugement ? (41) Pour nous, (c'est) justice, car nous recevons des choses-dignes de celles que nous avons commises, mais celui-ci n'a rien commis d’inconvenant. (42) Et il disait : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume. (43) (Jésus) lui dit : Amen, je te le dis : aujourd'hui, avec moi tu seras dans le paradis.

 

Prédication

1ère station (devant l’autel, face à l’expo)

 

Il y a un mois, nous découvrions dans cette Eglise l’exposition INCROCIATO, d’Ignazio Bettua. J’ai tout de suite été saisie à la vue de ces 17 croix. Elles m’ont rappelé le début de la pandémie : tous ces cercueils, alignés en nombre dans des Eglises d’Italie du Nord, ou dans des halles transformées pour l’occasion en funérarium.
Après les cercueils, voici les croix ! Après le Covid, voici la guerre, à nos portes elle aussi.
Ces croix, comme ces cercueils, m’ont obsédée. Au point d’en perdre quasiment le sommeil. Et d’être incapable de dire ou d’écrire un seul mot pour préparer cette prédication…
Il est vrai que par leur beauté dépouillée, l’harmonie et la mystérieuse unité qu’elles dégagent, ces croix nous invitent au recueillement et à la prière. Mais dans le même temps, elles résonnent de la terrifiante actualité du drame qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux, depuis plus de 37 jours. Par leur répétition et leur multiplication, elles font miroir de ce que subissent, depuis lors, les habitants de l’Ukraine.

 Vue des 17 croix - 1ère partieVue des 17 croix - 2e partieVue des 17 croix - 3e partie

2e station (au centre de la nef, devant Lili et Rostik)

Le mot italien INCROCIATO est un participe qui désigne “ce qui est croisé, intriqué, imbriqué, enchevêtré”. Oui, la guerre elle aussi est venue INCROCIARE (CROISER) notre cheminement vers Pâques.
Désormais, INCROCIATI, nous le sommes tous, impliqués et concernés par elle. Surtout depuis que plus de 30'000 réfugiés nous ont rejoints. Notre communauté a pu offrir un hébergement à plusieurs familles, à St-Maurice, à Morgins et à La Pelouse aussi : une mère et son fils, Lili et Rostik. Arrivés de Kharkiv il y a bientôt 3 semaines, ils sont avec nous ce soir. Leur quotidien, douloureux, précaire, est désormais devenu aussi un peu le nôtre.

 

3e station (avec Rostik, prendre une bougie, aller entre Croix et LUMIERE)

Que dire dès lors de ces croix d’INCROCIATO, des croix de Lili et Rostik et de tant de nos frères et sœurs, quand le récit de l’évangéliste Luc que nous venons d’entendre nous conduit au pied de celle de Jésus ?
Je l’ai suggéré déjà : la croix, en sa nudité crue, muette, – comme peut l’être toute souffrance indicible –, nous écrase et nous terrasse. Mais chacune, en cette exposition, est INCROCIATA, associée à un bref poème, et aussi à un mot tiré des évangiles de la Passion. Ces mots les habillent. Ils les parlent. Assumées dans le mouvement qui nous emmène de gauche à droite, les voici orientées, toutes, en direction de la Croix de Jésus, et par-delà celle-ci, vers l’aube du matin de Pâques. Là enfin, là seulement, elles prennent sens et s’éclairent pour nous d’un jour nouveau. Le dernier mot du chemin de Croix est LUMIERE : celle, paradoxale, d’une vie qui naît au cœur même de la mort même !

“Dieu-avec-nous” attire en son sillage toutes nos croix humaines. Sa Croix transfigure notre regard. Et ce bandeau, de mortifère qu’il aurait pu être, devient christique : il nous dévoile la fresque d’une traversée pascale. L’impossible nous est ouvert : nous voici INCROCIATI, accompagnés jusque dans cet au-delà lumineux qu’est la Résurrection du Christ.
Sous cette lumière, dans l’Esprit du Vivant, nous allons donc nous risquer à méditer l’évangile de la Croix.
Car, certes, la croix terrorise si nous ne voyons en elle que du bois, sec ; des entrecroisements de bois mort ; des ajustements de planches ayant pour destination le supplice d’une chair humaine. Mais ainsi alignées, ces croix trouvent leur accomplissement dans le chemin de Résurrection d’un Dieu qui a lui-même souffert l’horreur de l’abandon, le poison du reniement, l’amertume des insultes et du rejet. Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient ?

NON ! “Ils ne savent pas ce qu’ils font”, dit Jésus à son Père.

 

4e station (à droite de la nef, sous l’orgue)

Le premier personnage que nous croisons, au début du chemin de croix de Jésus, c’est un certain Simon de Cyrène. On se saisit de lui sans lui demander son avis, sans qu’il comprenne à quoi il est soudain mêlé. A son insu, INCROCIATO qu’il est, à la vie à la mort, avec ce condamné, le voilà participant de la trajectoire de Jésus !
Il arrive aussi que quelque chose du malheur et de l’enfer vécu par Dieu sur terre croise nos propres routes. Quand cela s’abat sur nous, nous craignons ne pas nous en sortir, et de crouler sous le fardeau. En cela même, pourtant, mystérieusement, nous participons à la Croix de Jésus. Et déjà nous sommes attendus en l’aube de sa Résurrection.

 

5e station (au milieu de l’église, à droite)

Au milieu du peuple se trouvent aussi des femmes, ces filles de Jérusalem, qui, elles, pleurent. Elles sont belles, ces femmes ! On dit que ce sont des pleureuses professionnelles, qu’elles sont là par métier ? Peu importe, car leurs larmes manifestent la compassion et l’empathie qu’elles éprouvent face à ces futurs suppliciés.
Jésus leur parle. Il s’adresse à elles avec des paroles énigmatiques, certes, mais dans lesquelles nous pouvons entendre quelque chose, pour notre profit.
Ces femmes croyaient savoir qui elles pleuraient. Elles pensaient pleurer sur Jésus comme sur un malheureux de plus. Mais Jésus retourne leurs sanglots en larmes d’authenticité.
A dire vrai, on ne sait trop ce qu’il leur annonce ici : est-ce que ce sont déjà les événements terribles de l’an 70, la future prise de Jérusalem par Titus, la destruction du Temple, le pillage et le saccage de la ville ? Toujours est-il qu’en langage apocalyptique, Jésus évoque quelque chose de ce qui peut arriver à chacun, quand les angoisses de la mort nous étreignent et les douleurs des enfers nous accablent :

“Tombez sur nous, montagnes ! Collines, couvrez-nous !” (Luc 23,30).

Cette attirance pour la mort, Jésus la lit dans la destinée de ces femmes et de leurs enfants. Toute génération ne va pas, simplement, légèrement, vers la vie. Toute destinée connaît des précipices, des impasses, des zones d’obscurité :

“Tombez sur nous, montagnes ! Qu’on en finisse !
Couvrez-nous, collines !, Que nous soyons emportés ailleurs par la mort !”

 

6e station (au milieu de l’église, au centre)

D’autres figures encore sont mêlées, INCROCIATE, au chemin de croix de Jésus : celles des chefs et des soldats qui se rient de lui. Les chefs religieux incarnent les autorités du judaïsme. Loin d’écouter, voir, entendre ; de se réjouir des signes du royaume que Jésus a posés, des paroles de consolation qu’il a dites, ils ont programmé sa mort et désormais se plaisent à mentir, railler, ricaner. Les soldats romains évoluent sur ce registre aussi. Sans doute qu’ils ne comprennent rien à ces histoires de religion, ces titres de Christ, de sauveur, de Roi d’Israël, mais ils rajoutent leurs sarcasmes à ceux des leaders juifs.
Nous pouvons nous reconnaître, à notre mesure certes, dans pareil désir de meurtre, et cette volonté aussi d’éliminer celui ou celle qui vient bousculer notre prétendu savoir sur Dieu ou sur le Ciel, remettre en question notre volonté de puissance. Nous pouvons nous reconnaître aussi dans cette manière de pervertir le langage, de tordre la parole. Il est plus facile de se laisser glisser sur la pente de la dérision que de se ressaisir, humblement, pour communier à une écoute profonde de ce qui parle en nous et en l’autre, du côté de la lumière et de la vérité. Habiter une parole ajustée à ma vérité et à celle de l’autre exige un travail constant, très onéreux. Il en va pourtant de ma capacité à vivre en paix avec moi-même et avec les autres.

 

7e station (au milieu de l’église, à gauche)

Et bien sûr, deux hommes encore participent à la croix de Jésus. Suspendus au gibet, à sa droite et à sa gauche, ils sont là, eux, pour avoir commis des crimes. Celui qu’on nomme “le bon larron” le dit à son compagnon d’infortune, et lui reproche ses injures. Qu’entendre en cette réprimande ?
Ce qui fait de cet homme un “bon larron”, c’est qu’il se met, lui, à parler en vérité, à se distancer de tout chemin de mensonge. Il figure ici chacune de nos possibles conversions, peut-être certains de nos moments de grâce, quand, face à un choix radical, ou à des choix plus quotidiens, nous nous tournons résolument vers Jésus, pour devenir les compagnons et disciples du Seigneur crucifié : “Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume”.
Les paroles qu’il prononce semblent lui advenir par grâce. Elles lui permettent de rencontrer, INCROCIARE, sur le lieu du pire, en croix, un Dieu de compassion, qu’il implore sans retenue. Un Seigneur de tendresse, qui vient lui-même à peine de supplier son propre Père de pardonner à ses bourreaux :

Père, remets-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font !”

 

8e station (devant la croix de Saint-Damien)

Lili et Rostik avec Sr IsabelleDes figures comme celle de Simon de Cyrène (déjà, un peu) et surtout celle du bon larron projettent dans l’INCROCIATO et l’entremêlement de nos croix personnelles et communautaires des étincelles de clarté, des couleurs d’espérance.
L’arbre vert est en train de subir sa mort. Mais le bois vert est un arbre de vie, disent les Ecritures, de la Genèse à l’Apocalypse. Le bois vert ira à la vie. C’est ce Christ vivant, glorieux, que nous donne à contempler la Croix dite de St-Damien.
Ainsi, peu à peu, au fil de notre marche, voici que la Croix de Jésus s’est révélée à nous, paradoxalement, comme le lieu béni où Dieu le Père est présent, en son Fils. INCROCIATA, la Trinité entière, “Père, Fils et Esprit” y communie à toute abomination, infligée avec violence ou subie par un innocent. Dans la lumière pascale, la Croix se dévoile comme le lieu du grand AMOUR, le lieu de possible naissance en chacun de nous du nouvel Arbre de vie, le Christ vivant.
C’est bien de notre histoire que nous parle l’évangile de la Croix, notre histoire intimement unie, INCROCIATA, de toujours à toujours, à celle de Jésus. La croix dévoile nos zones d’ombre, oui, mais aussi les lumières les plus ardentes de chacune de nos existences.
L’essayiste et journaliste Christine Pedotti exprime avec réalisme et espérance l’enjeu des jours et semaines d’épreuve que nous traversons, avec tant de frères et sœurs éprouvés, en ce temps de la Passion. Dans un éditorial de la revue “Témoignage chrétien”, elle écrit (je cite) :
“Nous faisons face à l’impensable. Tout ce que nous pensions stable, intangible, devient friable, fragile. Quelle est l’issue ? Elle est tout à la fois simple et rude à mettre en œuvre et tient en trois mots : vivre, faire, aimer. Vivre, c’est-à-dire accueillir chaque jour comme une nouveauté et une espérance ; faire, parce que même le plus petit des gestes retisse de la fraternité, agir pour l’Ukraine, mais aussi pour notre voisin ou notre voisine, nos proches ; aimer, car chaque acte de réconciliation, de pardon, d’élan vers autrui fait barrage au mal et au malheur.

 

9e station (près de Lili)

Ce soir, Lili et de Rostik sont parmi nous. Bien malgré eux, certes, et sans le vouloir ni sans l’avoir non plus, ils sont pour nous les vigiles évangéliques de la victoire quotidienne des forces de résurrection sur les puissances de la mort. L’enfance, notre enfance, y puise ses énergies de vie.
Avec eux, pour eux, en communion avec nos amis d’Ukraine et aussi avec toutes les victimes des conflits qui embrasent le monde, oui : Vivons ! Agissons ! Aimons !
J’ajouterais : Prions ! Oui, prions avec foi !

Car avec le Psalmiste, nous le confessons :

Seigneur, Dieu de l'univers,
heureux qui espère en toi !

Heureux les hommes dont tu es la force,
Des chemins s’ouvrent dans leur cœur ! (Psaume 84)

(avec Rostik, remettre la bougie devant l’autel)

 

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