Commentaire de la Parole
10e semaine du t.o. A
Matthieu 5,33-37
La liturgie propose chaque année d’écouter intégralement le chapitre 5 de l’évangile de Matthieu consacré au premier grand discours de Jésus appelé « sermon sur la montagne ». Lundi passé nous avons entendu Jésus proclamer les Béatitudes, magnifique porche d’entrée à ce discours. Depuis mercredi nous sommes entré.e.s dans une longue unité scandée par deux phrases qui vont revenir à 5 reprises : Vous avez appris/entendu qu’il a été dit… et Moi je vous dis… Jésus signale donc à ses auditeurs qu’il y a une parole avant lui (il a été dit) et que quelque chose de nouveau commence avec lui (et moi je vous dis) parce qu’il est là. Mais cette nouveauté de parole n’est pas en rupture avec ce qui a été dit précédemment dans la Loi car Il n’est pas venu abolir mais accomplir (v. 17) : ce qui était comme en germe dans la Loi, Jésus va le conduire à son terme, à son plein déploiement ; ainsi dans la première partie où est évoquée l’interdit du meurtre Jésus va montrer que la racine du meurtre est bien en-deçà de l’acte de la mise à mort proprement dite ; elle est dans la colère contre un frère, elle est dans la parole qui insulte, qui traite de fou (v.22). La colère, l’insulte, toute parole malveillante ont déjà en elles des semences de mort.
Si votre justice de surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, nous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux (v.20) : la nouveauté liée à la venue de Jésus fait éclater un cadre de vie où il suffit d’appliquer des règles pour être justifié (la justice des scribes et des pharisiens). Jésus nous invite à entrer dans le Royaume des Cieux : cela exige donc un déplacement, l’adhésion à un nouveau style de vie, une nouvelle justice (la justice du Royaume). C’est bien ce que déploient en 5 vagues successives les 26 derniers versets du chapitre 5. Il est intéressant de constater que ces versets portent sur les enjeux fondamentaux de l’existence humaine : la vie et la mort (1e partie), le désir, les passions, le mariage et l’adultère (2e partie), la parole vraie ou fausse (3e partie), la violence et la réconciliation (4e partie), l’amour et la haine (5e partie).
Aujourd’hui nous lisons et méditons la 3e partie : Vous avez appris : Tu ne manqueras pas à tes serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Moi je vous dis de ne pas jurer du tout (v.33-34). (…) Que votre parole soit oui oui ; non, non. (v. 37).
Il s’agit donc de parole, de notre parole. La parole c’est ce qui caractérise l’être humain, le distingue profondément des autres vivants. Créé.e.s à l’image d’un Dieu qui parle, la parole nous met en relation les uns avec les autres. Nous sommes des êtres de parole, des êtres de relation. C’est toute notre grandeur, toute notre noblesse.
Et pourtant vite nous faisons l’expérience de la fragilité de la parole humaine : nous ne sommes jamais tout à fait sûr.e.s que ce nous disons soit cru par les autres ; et nous ne sommes jamais tout à fait sûr.e.s de pouvoir nous fier à la parole de l’autre. C’est pour cela que de tout temps et dans toutes les cultures l’être humain trouve des stratagèmes en prenant des garanties plus hautes que lui, surtout quand les enjeux sont importants : on jure, on fait un serment en prenant à témoin sa mère, son père, le ciel, la terre. Et le serment est bien sûr amplifié quand il est fait au nom de Dieu.
C’est cette pratique que dénonce Jésus : « citoyens » du Royaume des Cieux nous reconnaissons Dieu comme notre Père (v. 16) ; le prendre à témoin, prétendre qu’Il confirme ce que je dis c’est le prendre en otage, prendre en sa possession Celui qui est La Parole et à l’origine de toute parole. Etre citoyens du Royaume c’est renoncer à mettre la main sur Dieu, à prendre en otage sa parole.
Alors que faut-il faire ? La réponse de Jésus est sans équivoque : dire oui quand c’est oui, non quand c’est non (v. 37). C’est donc accepter la fragilité, la nudité de ma propre parole. Et de ce fait lui donner son vrai poids : quand je dis oui, c’est bien un oui que je dis, quand je dis non, c’est bien un non que je dis. C’est aussi croire, faire le pari que ma parole suffit pour être reçue et crue car Jésus nous dit que dans le Royaume du Père, nous sommes frères (v. 22) et sœurs les uns des autres.
L’appel que nous sommes invité.e.s à entendre en ce jour c’est de donner leur vrai poids à nos propres paroles et d’accueillir celles de nos frères et sœurs dans la foi.
Que l’Esprit Saint nous le fasse entendre !
Sœur Adrienne Barras