Liturgie de la Parole

Notre page « Echos de la communauté »

Nous aimerions sur cette page vous faire partager quelques échos de notre communauté, les événements que nous vivons « Au fil des jours », les témoignages de nos soeurs et ce que les différents médias (cath.ch, la RTS, KTO, VaticanNews...) partagent au sujet de nos communautés en Suisse et à Madagascar et de nos activités et services. Cliquez sur les liens pour accéder aux articles publiés.

Le temps de confinement, où l'Eucharistie n'était plus possible, nous a incitées à chercher des alternatives. C'est ainsi que l'Office du milieu s'est transformé en une « Liturgie de la Parole (accès aux textes publiés) » et cinq sœurs de la communauté se sont relayées pour commenter le texte de la liturgie du jour. Même si les célébrations ont maintenant repris, nous poursuivons cette belle expérience de partage de la Parole.

Sr Isabelle Donegani

Commentaire de la Parole
28e semaine du t.o. A

Ga 4,22-5,1 et Luc 11,29-32

Jésus, dans l’évangile de ce jour, pointe avec netteté, et de front, la question des “signes”. Grande question qui agite “cette génération”, dit-il à l’adresse des foules. Mais qui agite aussi les humains que nous sommes, si prompts à quêter des signes autour de nous, attirés et fascinés par ce qui semble nous ravir et nous combler d’aise, mais qui parfois aussi nous effraie et sème en nous la terreur et la peur. 

Jésus, lui, n’y va pas par quatre chemins : “Cette génération est mauvaise”, qui cherche un signe, dit-il. Le mot est fort : “être mauvais” ou méchant, c’est le contraire d’être bon ou juste. En quoi donc la quête de signe a-t-elle à voir avec du mauvais, du mal, de l’injustice ? Pour y entendre quelque chose, continuons à écouter le texte. 

Jésus poursuit, en disant qu’à cette génération mauvaise, il ne sera pas donné de signe, sinon le signe de Jonas. Car, de même que Jonas devint un signe pour les Ninivites, ainsi aussi le fils de l’homme pour cette génération” (Luc 11,29-30).

Autrement dit : rien ne sert de partir en quête d’un autre signe que celui qui est donné à travers Jonas. Pour cette génération, ce signe se rejoue et s’accomplit à travers celui du fils de l’homme.

En quoi consiste donc ce signe, nécessaire et suffisant ? Jésus l’indique à travers deux paroles qui envisagent le jour futur du “jugement”, moment posé comme point de vérité et de discernement sur le cours du temps, à son terme.

“Lors du jugement”, dit-il, “des hommes ninivites se lèveront avec cette génération et la condamneront”. Au nom de quoi ? Du fait que les Ninivites, eux, “se sont convertis à la proclamation de Jonas”. Entendons : ils ont passé d’un état d’esprit à un autre, nouveau, situé au-delà et par-delà le premier ; leur mentalité a su évoluer, se laisser transformer (c’est le sens du verbe grec meta-noeô : penser au-delà). Placés sous la parole de Jonas, atteints par sa proclamation, leur esprit (nous, en grec) a bougé, s’est déplacé, modifié, transformé. La parole de Jonas a emmené leur pensée plus loin.

Or, dit Jésus, “voici qu’il y a ici plus que Jonas !” Ici et maintenant, ils ont la possibilité de discerner la présence agissante de celui qui est supérieur à Jonas, en fait de proclamation. Pour le dire autrement : pourquoi donc cette génération ne se convertit-elle pas, alors que quelqu’un représente devant eux, en capacité et en acte de proclamation, “plus que Jonas” ? Notons la discrétion de Jésus à son sujet : il ne s’auto-proclame pas nouveau Jonas, mais dirige avec tact le regard et l’écoute de “cette génération mauvaise” vers l’accueil possible d’une parole, pour sa conversion.

Car combien de fois déjà n’a-t-il pas annoncé le royaume de Dieu devenu proche ? Combien de fois n’ont-ils pas été témoins de ses gestes et paroles manifestant le royaume de Dieu à l’œuvre au milieu d’eux ? Dans l’épisode qui précède directement notre évangile, il vient de jeter dehors un démon qui rendait un homme muet, lui donnant accès à la parole. Les foules (elles déjà) en avaient été étonnées (11,14). Mais cet étonnement n’avait abouti à aucune conversion. Certains d’entre eux s’étaient au contraire mis à l’accuser d’avoir agi par Béelzéboul, le prince des démons, alors que d’autres, pour le mettre à l’épreuve, lui avaient précisément demandé “un signe venant du ciel” (11,16). Mais exiger cela, c’est contraindre Jésus à entrer dans leur logique, à se plier à des catégories dont ils seraient, eux-mêmes, les auteurs et les maîtres : si tu fais ceci ou cela, qui pour nous indique le ciel, alors nous y reconnaîtrons “un signe venant du ciel” ! Notons que ceux qui demandent pareil signe n’ont rien vu ni entendu du ciel, – du “doigt de Dieu” dit Jésus –, dans la libération qu’il vient d’opérer en cet homme qui était possédé par un démon…

Ce qui semble faire que les “foules s’amassent” autour de Jésus, c’est une soif et une démangeaison d’actes miraculeux, qu’elles interprètent comme des signes de toute-puissance prouvant sa force de parfait magicien capable de modifier les lois de la nature et rendre possible l’impossible, à souhait : “à bra-ca-da-bra” !

Mais Jésus, lui, ne cherche pas à fasciner les hommes, ni à les attirer à lui en leur faisant miroiter un monde magique dont il serait le roi. L’unique signe de Jonas et du fils de l’homme se donne dans et par la proclamation, à travers l’action d’une parole efficace, qui fait ce qu’elle dit, créant et engendrant à neuf les hommes.

Encore faut-il l’entendre, cette parole. C’est ce que souligne Jésus en convoquant ici la figure de la “reine du midi”. Elle aussi “s’éveillera, lors du jugement, avec les hommes de cette génération et les condamnera”. Pourquoi ? “Parce qu’elle est venue depuis les confins de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et voici ici plus que Salomon !” (11,31). Cette femme est reine d’être venue de très loin pour écouter la sagesse du roi Salomon. Elle figure l’écoute. C’est une figure d’accueil, d’ouverture, de réceptivité à la parole. S’il y a ici “plus que Salomon”, il y a de quoi, pour cette génération, exercer sa capacité d’écoute.

La quête de signe n’aboutit qu’à créer des foules qui font masse autour de Jésus. Ce sont des foules collantes, agglutinées. Leur adhérence, sans altérité, ni différence, n’engendre pas le corps du Christ. Faire bloc autour du merveilleux, fusionner magiquement, n’est pas vivre la parole, qui crée l’espace nécessaire à une l’écoute de foi, une écoute qui est la foi.

Si la recherche de signe nous enferme dans un imaginaire où nous fabriquons nous-mêmes notre horizon religieux, à notre image, l’écoute de la parole de sagesse et la conversion à la proclamation du royaume, elles, nous engendrent à la liberté.

Paul le dit aussi, avec d’autres mots, dans l’extrait de la lettre aux Galates que nous venons d’entendre. “C’est pour la liberté que Christ nous a libérés” (Ga 5,1). Tous, nous sommes appelés à être engendrés, selon la parole, à la vie des fils.

Tenons bon, pour ne pas nous mettre à nouveau sous le joug de l’esclavage.
Ne cherchons pas d’autre signe que celui du fils de l’homme.

Oui, il y a ici plus que Salomon.
Il y a ici plus que Jonas.

sœur Isabelle Donegani