Liturgie de la Parole

Notre page « Echos de la communauté »

Nous aimerions sur cette page vous faire partager quelques échos de notre communauté, les événements que nous vivons « Au fil des jours », les témoignages de nos soeurs et ce que les différents médias (cath.ch, la RTS, KTO, VaticanNews...) partagent au sujet de nos communautés en Suisse et à Madagascar et de nos activités et services. Cliquez sur les liens pour accéder aux articles publiés.

Le temps de confinement, où l'Eucharistie n'était plus possible, nous a incitées à chercher des alternatives. C'est ainsi que l'Office du milieu s'est transformé en une « Liturgie de la Parole (accès aux textes publiés) » et cinq sœurs de la communauté se sont relayées pour commenter le texte de la liturgie du jour. Même si les célébrations ont maintenant repris, nous poursuivons cette belle expérience de partage de la Parole.

Soeur Claire-Isabelle Siegrist

Commentaire de la Parole
11e semaine du t.o. A

Solennité du Sacré-Coeur de Jésus

1 Jean 4,7-16 et Matthieu 11,25-30

La solennité du Sacré-Cœur de Jésus que nous fêtons aujourd’hui a une histoire complexe. Si la fête elle-même naît dans la deuxième moitié du XVIIème siècle avec S. Jean Eudes, puis Marguerite-Marie Alacoque, la contemplation du côté ouvert du Christ a nourri la méditation de nombreux mystiques dès le Moyen Age. Les lectures que la liturgie nous donne à entendre au long des trois années montrent les différents aspects qui ont été retenu après le Concile Vatican II pour cette fête.

L’évangile que nous venons d’entendre commence par une louange que Jésus adresse au Père. Le contexte est pourtant celui de la tension et de l’échec : les villes où ont eu lieu des miracles ne se sont pas converties, n’ont pas accueilli le message de Jésus, les scribes et les pharisiens cherchent à Le piéger. C’est pourtant bien une prière de louange qui jaillit de Lui. Ce qui fait vivre Jésus, ce qui fait sa joie, ce n’est pas le succès ou la tranquillité mais sa relation unique avec son Père. Jésus reconnaît que tout – le ciel et la terre – vient du Père et que Lui-même se reçoit du Père de qui vient l’Amour dit la 1ère lettre de saint Jean.

Louange parce que tout est donné, louange parce qu’il ne s’agit pas d’en savoir beaucoup, mais d’être, à l’image des petits, accueillant à cet Amour donné : apprendre à se laisser aimer encore et encore. Cette image du petit est importante parce que le tout-petit ne peut que se laisser faire pour grandir. Tout lui est donné. La prière de louange de Jésus montre qu’Il vit de cet Amour et le révèle, en se donnant jusqu’à l’extrême, « l’extrême de moi, l’extrême de Lui »[1] disait l’homélie de Christian de Chergé que nous avons entendue Jeudi Saint. C’est ce que nous avons célébré dans le Triduum pascal. Et les deux solennités du S. Sacrement et du Sacré-Cœur sont, je crois, des échos de ce Mystère d’Amour qu’est le Mystère pascal. C’est donc le mouvement descendant du Don qui marque les lectures proposées pour l’année A.

Il y a là un renversement sur lequel je vous propose de nous arrêter.

Christian Salenson parle de ce renversement. Il explique que dans les sacrifices anciens, l’homme offrait à Dieu pour le remercier, pour s’attirer sa bienveillance, lui demander sa protection, expier ses fautes. Dans ce mouvement, l’homme offre et Dieu reçoit. Or, le Christ inverse le mouvement du sacrifice. Dans « le sacrifice du Christ, Dieu lui-même s’offre aux hommes. (…) Mais là où l’homme offrait à Dieu pour recevoir en retour, Dieu offre gratuitement. (…) Il offre sans attendre de retour. Il laisse l’homme libre de répondre. »[2]

La fête du Sacré-Cœur nous donne de nous arrêter sur ce renversement : nous sommes aimées, nous recevons la vie. Notre part, c’est de vivre de cet Amour et consentir à en faire ce qui conduit nos vies. Consentir à nous livrer amoureusement à Celui qui se livre à nous. Sortir du « je te donne pour que tu m’aimes », je fais des efforts, je donne pour être aimée. Ce renversement nous apprend – ou en tout cas nous appelle – à recevoir l’Amour qui vient de Dieu dit la 1ère lettre de saint Jean et à entrer, à notre tour, dans ce mouvement du don de la vie.

Et cela nous fait rejoindre l’appel de Jésus à aller à Lui pour nous mettre sous son joug. Le joug, cette pièce de bois qui relie les animaux, permet de répartir la charge et les faire avancer dans la même direction. Pour un Juif, parler du joug, c’est également parler du joug de la Loi, des commandements, ce que l’homme fait pour répondre aux exigences de Dieu. Or, il n’y a rien à faire ! Dieu n’exige rien : Il aime et « nous donne part à son Esprit », dit encore la lettre de Jean. Le fardeau des préceptes, des efforts, dit Jésus, est pesant. Et il s’agit désormais de se mettre sous son joug à Lui, car le joug reste. Mais Jésus est avec nous, Il le porte avec nous et nous marchons ensemble dans le flux de la vie donnée.

C’est un appel à nous en remettre entièrement à cet Amour. Il ne s’agit donc pas de faire des sacrifices, mais de devenir un sacrifice par toute notre vie. C’est bien le sens de ces mots qui nous interpellent tant : « Que l’Esprit Saint prolonge en nous et par nous la louange d’une vie qui se donne, dans une charité fraternelle attentive à toute misère, à toute solitude, à toute souffrance… »[3]

Nous mettre sous le joug du Christ, c’est, comme Lui, inverser le mouvement du sacrifice pour nous en remettre entièrement à Dieu afin « que notre vie ne soit plus à nous-même mais au Christ qui est mort et ressuscité », comme le dit la prière eucharistique IV. De Lui nous recevons la vie… Cela me fait penser à quelque chose souvent entendu du père Jean Delorme quand il nous expliquait que la vie ne remonte pas vers la source : nous recevons la vie de nos parents et nous ne pouvons leur rendre cela. Nous accueillons ce don en donnant la vie à notre tour. Entrer dans le mouvement du flux de la vie donnée et s’offrir les mains ouvertes, dépouillées.

« Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. » (1 Jn 4,7-8)

Alors oui, il s’agit d’aimer mon frère, ma sœur, mais par Lui, avec Lui et en Lui, sous le joug de la vie donnée du Christ, ce joug qu’Il porte avec nous. Jeudi Saint, Christian de Chergé nous a donné la feuille de route pour ce renversement à opérer en nos vies : « Moi qui rêvais de l’amour comme d’une fusion de moi en Lui, c’est une transfusion qu’il me faut : son sang dans mon sang, sa chair dans ma chair, son Cœur dans le mien, présence réelle d’homme marchant en présence du Père. »[4] 

sœur Claire-Isabelle Siegrist

 

[1] Christian De Chergé, L’invincible espérance, Bayard éditions / Centurion, 1997, p. 252.

[2] Christian Salenson, Les sacrements. Sept clés pour la vie, éd. DDB, 2012, p. 81.

[3] Prière à S. Maurice

[4] Christian De Chergé, L’invincible espérance, op. cit. p. 253.